Nous vous proposons cette excellente contribution de Afriki Presse
Dans la contribution ci-dessous l’expert et consultant BOUGONOU Youssouf aborde la problématique de la régulation des tarifs des communications électroniques enCôte d’Ivoire et en Afrique. Le débat sur l’augmentation du coût des datas en Côte d’Ivoire, intéresse des experts ailleurs en Afrique, et même au delà. Connaisseur du marché ivoirien des télécommunications, BOUGONOU Youssouf propose la réflexion suivante sur la nécessité de mieux réguler les tarifs des communications électroniques enCôte d’Ivoire et en Afrique.
La décision en date du 06 avril 2023 et le communiqué de l’ARTCI règlent t-ils définitivement le problème de la tarification de la data en République de Côte d’Ivoire ? Pour notre part, la réponse est oui et non.
En effet, si cette décision peut mettre fin à la polémique de ces derniers jours, elle ne mettra pas forcément fin au sujet emblématique des coûts des communications électroniques et le hautement délicat fait des revenus des opérateurs. En fait, ce sujet pose l’épineux problème de la régulation dans le secteur des télécoms. Il faut dire que pour réguler les prix dans le secteur des communications électroniques, il faut fondamentalement :
Les fondamentaux de la régulation des tarifs, le régime juridique
Pour étudier la régulation des prix dans le secteur des communications électroniques, il faut fondamentalement comprendre la chaîne de valeurs et les marchés qui la composent.
En effet, en aval de ce marché se trouvent les marchés de détail visant les relations entre les opérateurs de communications électroniques et les utilisateurs finals, qu’ils soient des consommateurs résidentiels ou des entreprises.
En amont se trouvent les marchés de gros visant les relations entre les opérateurs de communications électroniques.
Ces marchés de gros peuvent être des marchés d’accès lorsqu’un nouvel entrant souhaite utiliser, moyennant le paiement d’une charge d’accès, l’infrastructure d’un opérateur existant, ou des marchés d’interconnexion ou de terminaison lorsqu’un opérateur souhaite acheminer et/ou terminer, moyennant le paiement d’une charge de transit et/ou de terminaison, la communication d’un de ses clients vers un destinataire, client d’un autre réseau que le sien.
Depuis la libéralisation du secteur, la régulation tarifaire porte principalement sur les prix de gros (accès et terminaison) et accessoirement sur les prix de détail.
Si les prix de gros sont régulés presque partout dans le monde en raison de leur portée, les prix de détail ne sont généralement régulés que pour des raisons d’efficacité économique et pour s’assurer que ceux-ci sont égaux aux prix d’un marché en situation de concurrence effective, ou pour des raisons d’équité sociale, ou encore pour s’assurer que les prix de services de communications électroniques indispensables sont abordables pour les citoyens.
La régulation des prix de détail
Si comme évoqué, la régulation économique des prix est concentrée sur les marchés de gros pour faire advenir la concurrence entre opérateurs et s’assurer que le seul fonctionnement du marché garantisse des prix de détail orientés sur leurs coûts, il est clair qu’une régulation publique des prix de détail n’est pas toujours nécessaire.
Par contre, si la concurrence sur les marchés de détail n’est pas effective et que le problème ne peut pas être résolu par une intervention en amont sur les marchés de gros, le régulateur peut également imposer des remèdes aux opérateurs ayant une puissance significative sur le marché pertinent.
C’est dire que la régulation du marché de détail n’est envisageable qu’en cas d’échec avéré de la régulation des marchés de gros. Et d’ailleurs pour ce faire, le régulateur doit dûment motiver son intervention.
Il faut dire que cette régulation n’est techniquement possible que si les conditions suivantes sont réunies :
1. « Pas d’évolution vers une situation de concurrence effective » c’est-à-dire se convaincre que le marché ne présage pas d’évolution vers une situation de compétition saine entre les acteurs du marché.
2. « Incapacité du droit de la concurrence à remédier à lui seul à la défaillance concernée du marché ».
On peut donc comprendre pourquoi rares sont les pays qui mènent une régulation à priori pour le marché de détail.
Mais quand des comportements anticoncurrentiels de différentiation de tarifs de détails sont soupçonnées et surtout au travers des offres promotionnelles, cela pose un autre problème. Car bien souvent, c’est au travers de cet instrument de stimulation du marché qu’on perçoit les marges de manœuvre des acteurs.
Ce qui peut amener les autorités réglementaires nationales à appliquer à ces entreprises des mesures d’encadrement des tarifs de détail, des mesures visant à maîtriser certains tarifs ou des mesures visant à moduler les tarifs en fonction des coûts ou des prix sur des marchés comparables, afin de protéger les intérêts des utilisateurs finals tout en favorisant une concurrence réelle.
Il faut préciser qu’en règle générale, les offres promotionnelles sont régulées de la même manière que les offres structurelles « de base » auxquelles elles se rattachent. Par contre, le fait conjoncturel des promotions qui tendent presque toujours à tester le marché et à devenir les offres futures de base des acteurs a des conséquences différentes selon que cela émane de l’opérateur dominant (souvent l’opérateur historique) ou de l’opérateur dominé sur le marché.
Et c’est là que cela devient délicat. En fonction du profil de l’acteur incriminé, nonobstant les intentions et les motivations, le régulateur doit pouvoir s’autosaisir et réguler sur la base des coûts réels.
Régulation sociale des prix de détail pour des raisons d’équité et régulation économique pour des raisons d’équilibre financier ou d’efficacité
Il faut dire que deux motifs de régulations reposent toujours sur l’approche par les coûts. Mais il ne faut pas faire d’amalgame. Si interdire des tarifs anormalement hauts est fondamentalement louable, il ne règle pas toujours le vrai sujet ayant trait au prix juste.
En effet, la régulation sociale des prix de détail pour des raisons d’équité, ne peut au mieux que mener à une égalisation des prix avec leurs coûts de production (y compris une marge raisonnable).
À contrario, un prix régulé pour des raisons d’efficacité peut s’avérer encore trop élevé pour que les services soient abordables pour les citoyens ou, au moins, une partie d’entre eux.
Cela pose donc un problème social pour les services de base des communications électroniques à l’heure de la société de l’information.
C’est là que le législateur peut s’autosaisir pour prévoir que les prix de ces services soient des plus abordables en militant à leur inscription dans les « service universel par exemple ».
Ce qu’aucune directive de transposition ne peut caractérisée si ce n’est une disposition du politique.
Et si le marché ne garantit pas pareil résultat, le régulateur peut imposer aux fournisseurs ces prix. C’est-à-dire un prix plafond que les opérateurs ne devraient dépasser.
Autres méthodes de régulation
L’encadrement des prix consistant à fixer un plafond tarifaire, éventuellement évolutif, pour un service ou un panier de services a été utilisé au début de la libéralisation du secteur de la téléphonie car relativement simple à mettreen œuvre.
Celle reposant sur la comparaison des meilleures pratiques (benchmarking) consistant à réguler les prix en fonction de ceux qui s’appliquent dans des marchés comparables et concurrentiels également utilisée au début de lalibéralisation du secteur de la téléphonie vu sa simplicité a été progressivement abandonnée, car ne garantissant pas non plus que les prix soient égaux à ceux qui prévalent en situation de concurrence.
La méthode dite de retail minus consistant à réguler les prix de gros sur la base des prix de détail librement fixés par l’opérateur régulé, théorisée par le passé reste toujours rarement utilisée sauf pour certaines régulations tarifaires.
C’est dire que la méthode de détermination des tarifs basée sur le calcul de coût consistant pour le régulateur à directement déterminer le coût de la fourniture d’un service demeure la méthode la plus utilisée actuellement, car elle est la seule à garantir un prix qui est proche ou égal à celui qui s’applique sur un marché en concurrence efficace.
Malheureusement cela reste une méthode complexe à mettre en œuvre.
En effet, cette méthode impose au régulateur de fixer de nombreux choix méthodologiques longs à détailler dans cette tribune.
Malgré sa complexité cela reste la pratique de la majorité des régulateurs en Europe.
En Afrique, même si ce modèle séduit nombre de régulateurs, son appropriation n’est pas complète car difficile à intégrer.
Le vrai enjeu : Calcul des coûts pour des prix justes
Si la structure tarifaire est un instrument quipermet au régulateur de mieux cibler les objectifs visés par le remède d’orientation sur les coûts, il est donc le mieux placé pour juger de la meilleure structure tarifaire pour une situation donnée notamment sur la base des informations du marché dont il dispose.
Toutefois, compte tenu de l’importance de la tarification, au moins égale à la modélisation des coûts, on pourrait s’attendre à une réflexion plus poussée au niveau national par le législateur par exemple ou la tutelle pour l’établissement de « bonnes pratiques » qui pourrait guider le régulateur national dans ses choix.
En effet, contrairement aux méthodes de régulation tarifaire et aux méthodes de calcul des coûts, les instances décisionnaires (les pouvoirs publics) doivent pouvoir si ce n’est, sont censés statuer sur les instruments relatifs aux méthodes d’établissement des grilles tarifaires même s’il est vrai qu’il faille prévoir et maintenir une liberté pour l’établissement d’une tarification adéquate selon les besoins du marché.
Il est vrai qu’une plus grande transparence sur les modèles de tarification utilisés par le régulateur devrait lui permettre d’affiner ses choix, en fonction des circonstances du marchés. Mais il faut également reconnaitre que soulevant des appréciations économiques fort complexes, il est nécessaire qu’une importante marge d’appréciation discrétionnaire soit laissée au régulateur. En effet, le choix entre les différentes méthodes de régulation des prix et les choix méthodologiques qui sous-tendent le calcul des coûts, les choix en matière de tarification de ces coûts influencent considérablement les décisions des opérateurs de communications électroniques dans leur engagement à investir dans le réseau qu’il faille une grande souplesse dans son encadrement.
La dimension discrétionnaire de l’Autorité, parlons-en
Les directives ou les lois nationales doivent laisser une large marge d’appréciation discrétionnaire aux régulateurs pour décider s’ils imposent un contrôle en prix après avoir procédé à une analyse de marché et, dans ce cas, quelles méthodes elles appliquent.
Malgré le débat et les atermoiements, cette discrétion serait heureuse, vu les appréciations économiques complexes qui sous-tendent la régulation tarifaire dans une industrie de réseau et des choix à poser en fonction de l’état de développement du marché considéré.
Cette discrétion peut d’ailleurs être encadrée par une soft law, avec des recommandations claires dont le régulateur devra impérativement tenir compte.
Cette soft law portant principalement sur les méthodes de régulation des prix, en particulier les choix méthodologiques pour le calcul des coûts, mais pas sur les choix en matière de structure tarifaire qui ont pourtant une influence tout aussi déterminante sur décisions d’investissement des acteurs présents.
Pour conclure, précisons que la régulation doit s’adapter aux contingences de l’heure et aux réalités marché.
En effet, si la concurrence est suffisamment forte, les prix de détail convergent vers les coûts, et dès lors une régulation de ces prix de détail n’est plus nécessaire.
En d’autres termes, le recul progressif de la régulation des prix de détail illustre le succès de la libéralisation.
Toutefois, certains prix de détail des services de base des communications électroniques continuent d’être régulés pour des raisons sociales. Dans le cadre du service universel ou jugé comme tel par le législateur par exemple, le régulateur peut imposer des prix abordables qui peuvent aller jusqu’à être en dessous des coûts de production, ce qui peut justifier dans certains secteurs une compensation à charge du secteur ou de l’État lui-même.
C’est dire que si l’accès à la data s’inscrivait dans le même registre, au vu du niveau de tarification actuel, c’est la Régulation à taux de rendement (« rate of return ») et plafond de revenus (« revenue cap ») ou la Régulation à taux de rendement (« rate of return ») et plafond de tarifs (« tariff cap ») qui pourraient être envisagées avec un atout clé : le secteur n’est pas financièrement exsangue. Même si les besoins d’investissements dans le secteur sont encore énormes, l’équilibre financier des acteurs du secteur n’est pas aujourd’hui en jeu.
Gageons que cette polémique ouvrira à des réflexions plus stratégiques au sujet de la politique tarifaire des opérateurs mobile en Afrique à l’ère du numérique, du digital, bref de la data.
Viser à garantir la « viabilité financière » et la « pérennité » de l’ensemble des acteurs du secteur serait-il incompatible avec l’accès des populations à des services data de qualité au prix juste ?
BOUGONOU Youssouf expert- consultant