Meta (Facebook) : après le flop du métavers, Mark Zuckerberg est-il toujours l’homme de la situation ?

En pivotant spectaculairement son empire des réseaux sociaux vers le métavers fin 2021, Mark Zuckerberg a cru pouvoir imposer une nouvelle révolution technologique et forcer la main du marché. Un an et demi plus tard, c'est un échec cuisant et Meta a dépensé 36 milliards de dollars dans la lubie de son fondateur. Alors depuis quelques mois, le dirigeant controversé délaisse discrètement le métavers pour reprendre le train de l'intelligence artificielle -comme tout le monde-. Il improvise aussi des coups de poker, comme un abonnement payant à Facebook ou encore un projet de « Twitter décentralisé », pour tenter de réduire sa dépendance à la publicité, sa seule vraie source de revenus. Mais est-il toujours le visionnaire d'il y a vingt ans ?

Nous vous proposons cette excellente contribution de La Tribune.fr

Faut-il encore croire en la vision de Mark Zuckerberg ? Il y a vingt ans, le petit génie de Harvard avait perçu avant tout le monde la révolution des réseaux sociaux et surtout, le pouvoir des données personnelles, transformées en or grâce à la publicité ciblée. Avec quelques autres, dont Jeff Bezos (Amazon) et Steve Jobs (Apple), Mark Zuckerberg a transformé le rêve décentralisé d’Internet en chasse gardée de quelques plateformes prédatrices, les fameux Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Au point que leur incroyable et inédite puissance économique, financière et politique, et les dégâts qu’ils causent sur la démocratie et la concurrence, ont fini par effrayer les Etats partout dans le monde, qui ont imaginé de nouvelles régulations spécialement conçues pour les contenir, à l’image du Digital Markets Act européen.

Mark Zuckerberg a eu un tel impact depuis le lancement de Facebook en 2004, qu’il n’est pas étonnant que lorsqu’il se prend de passion pour une nouvelle technologie, le monde l’écoute et s’emballe. Dès 2014, l’entrepreneur percevait déjà dans la réalité virtuelle et augmentée « l’Internet de demain » et le futur des interactions sociales. Près de dix ans plus tard, en octobre 2021, l’entrepreneur visionnaire tente un coup de poker : à la surprise générale, il annonce la transformation de Facebook en Meta. Derrière le changement de nom se joue en fait un pivot radical de l’ensemble de l’entreprise vers le métavers. Le dirigeant annonce à ce moment-là le basculement de l’essentiel des investissements du groupe vers cette nouvelle plateforme -10 milliards de dollars par an jusqu’à 2030-, la création de 10.000 emplois en Europe dans les cinq ans, et la promesse d’une révolution des usages comparable à celle de l’arrivée du smartphone dans nos vies dans les années 2000. Au 1er février 2023, Meta avait investi pas moins de 36 milliards de dollars dans son métavers d’après ses résultats financiers.

Le métavers de Zuckerberg, un flop à 36 milliards de dollars

L’assurance de Mark Zuckerberg est telle que le métavers -et son corollaire le web3- deviennent la nouvelle coqueluche de la tech en 2022. Aveuglés par les fulgurances passées du charismatique fondateur de Facebook, de nombreux grands groupes (notamment dans le luxe comme LVMH), cabinets de conseils et médias, promettent monts et merveilles au métavers à coup d’annonces d’investissements fracassants et d’études alléchantes faisant miroiter une pluie de milliards sur les plus audacieux. La « hype » est si délirante que le cabinet de conseil McKinsey prévoit dans une étude qui a fait grand bruit jusqu’à 5.000 milliards de dollars de revenus par an pour le métavers en 2030, sur la base de projections fantasques, et ce alors que les applications de réalité virtuelle et augmentée pesaient… 32 milliards de dollars « seulement » en 2021.

En réalité, le coup de poker de Mark Zuckerberg était surtout un écran de fumée, un moyen de relancer l’entreprise qui traversait alors une mauvaise passe historique. Empêtré par les Facebook Files révélés en septembre 2021 -le scandale le plus dévastateur à ce jour-, scruté par les régulateurs du monde entier pour ses pratiques publicitaires et attaqué frontalement par Apple qui lui a fait perdre plusieurs milliards de dollars de revenus publicitaires avec sa nouvelle politique de protection des données, Mark Zuckerberg faisait face à une stagnation des revenus, une érosion des marges, et des doutes nouveaux du marché sur l’avenir de la publicité ciblée.

Hélas pour Mark Zuckerberg, la puissance de son marketing et sa réputation de visionnaire n’ont pas suffi : la bulle métavers s’est dégonflée d’elle-même en moins d’un an. « Les métavers sont davantage poussés par l’industrie dans une logique de l’offre, beaucoup plus que par le public dans une logique de la demande », constatent les membres de la mission exploratoire du gouvernement français dans un rapport remis en octobre dernier.

Erreurs stratégiques majeures

Horizons Worlds, la plateforme de métavers de Meta, n’attirait fin 2022 que 200.000 utilisateurs mensuels, d’après le Wall Street Journal. Ridicule, au vu des montants investis et des attentes de l’entreprise. Et encore, en mars 2023, une fuite d’une réunion interne chez Meta a révélé que seul un utilisateur sur dix resterait sur la plateforme après un mois. Le problème est qu’Horizons Worlds est bien vide : la plateforme est censée être nourrie par les applications de sa communauté, mais l’utilisation est trop faible pour déclencher l’engouement des développeurs et des marques, qui l’utilisent davantage pour des coups marketing que pour un usage pérenne. A quoi bon organiser des événements dans le métavers si personne ne vient ?

« Pour qu’une nouvelle technologie s’impose dans les usages, il faut qu’elle réponde à un vrai besoin du public ou qu’elle crée un nouveau besoin. C’était le cas avec le smartphone, qui a tout changé car son existence a simplifié la vie de tout le monde. Mais le métavers n’est pas encore technologiquement assez avancé -beaucoup de plateformes ressemblent à un jeu Sega des années 1990- et n’offre pas encore assez d’usages disruptifs, pour provoquer un tel choc », analyse Cyril Vart, vice-président exécutif de Fabernovel.

Pour d’autres analystes consultés par La Tribune, qui souhaitent conserver l’anonymat, Mark Zuckerberg a commis plusieurs erreurs stratégiques majeures. La première est d’avoir fait un « all in » dans le métavers, en engageant le nom de l’entreprise et des sommes considérables dans l’espoir que l’énormité du pivot suffise pour créer un momentum. La deuxième est d’avoir tout misé sur le métavers alors que l’expérience utilisateur est globalement très décevante, à l’exception des jeux vidéo.

Enfin, la troisième erreur vient de la vision même de Mark Zuckerberg pour le métavers. « Il veut tout contrôler en environnement fermé et générer des revenus à chaque étape : des casques de VR avec Quest, à la plateforme avec Horizons Worlds, jusqu’à l’app store qui est la porte d’entrée obligatoire des applications avec une commission d’au moins 30%, indique un expert. Il y a une contradiction entre l’idée d’un nouvel Internet et le fait de bâtir le métavers sur le même modèle qu’avant. D’autant plus que Zuckerberg n’est plus perçu comme le petit génie sympathique, Meta a un problème d’image et de confiance. »

Enterrement discret et retour en grâce de l’IA

Échaudés, Microsoft ou encore le groupe Disney ont récemment fermé leur division consacrée au métavers. De nombreux projets annoncés en grande pompe en 2022, notamment dans le secteur du luxe, de l’immobilier ou de l’agroalimentaire, se font discrets et ne verront probablement pas le jour à court et moyen terme.

Pour Meta, difficile de faire machine arrière puisque le métavers fait désormais partie de l’ADN de l’entreprise, ce qui n’a pas manqué de générer des remous en interne, de nombreux employés qualifiant le métavers de « lubie » du fondateur, d’après certains médias américains.

Depuis le début de l’année, Mark Zuckerberg a donc à nouveau pivoté : pour rebondir après l’annus horribilis 2022, le fondateur a discrètement relégué le métavers au second plan. D’abord en faisant le ménage : alors que l’entreprise n’avait jamais licencié, Meta s’est séparée de 21.000 employés depuis novembre, et ne remplacera pas 5.000 postes vacants, soit une diminution de 24% de ses effectifs. Ensuite, en annonçant un nouveau virage, mais vers l’intelligence artificielle cette fois, au diapason de tous les autres géants de la tech. « Les deux vagues technologiques majeures qui dirigent notre stratégie sont l’intelligence artificielle aujourd’hui, et, à plus long terme, le métavers », a-t-il déclaré lors de la présentation du bilan 2022 devant les actionnaires. Détail révélateur : lors de cette conférence, le mot « intelligence artificielle » a été prononcé 28 fois… contre 7 pour « métavers ».

L’IA sera même « l’investissement le plus important » de l’entreprise en 2023, « année de l’efficacité », avec l’objectif de l’intégrer à l’ensemble des produits du groupe. Une initiative saluée par les marchés : descendue à 124 dollars au 1er janvier, l’action Meta vaut au 28 avril 236,5 dollars, soit quasiment le double en quatre mois. « Le recentrage sur l’IA est très bien perçu car Meta est l’une des entreprises les plus avancées au monde sur le sujet, ce que le focus sur le métavers avait quelque peu fait oublier », rappelle Cyril Viart.

L’IA pourrait même être une bouée de sauvetage pour le groupe, afin de moins dépendre des données personnelles pour proposer de la publicité ciblée encore plus pertinente, dans un contexte où la régulation encadre de plus en plus strictement la publicité. Elle aide aussi à relancer le temps passé sur Facebook et Instagram, menacés par le succès de TikTok. Ainsi, Meta a changé, grâce à l’IA, le fonctionnement de ses plateformes pour copier l’application, de ses vidéos courtes et divertissantes avec les « Reels » à ses puissants algorithmes de recommandation des contenus. « Depuis que nous avons lancé les Reels, les recommandations d’IA ont entraîné une augmentation de 24% du temps passé sur Instagram », s’est félicité Mark Zuckerberg lors de la présentations des résultats financiers du premier trimestre, le 26 avril, tout en assurant que ces vidéos rapportent aussi plus de recettes qu’avant.

Le dirigeant a aussi fait part de son enthousiasme pour l’IA générative, capable de créer des contenus sur requête en langage courant. Ces nouveaux systèmes comme ChatGPT de OpenAI, vont selon lui permettre à « des dizaines de millions de petites entreprises d’avoir des agents d’IA qui répondent en leur nom aux clients. (…) Tous nos produits et services vont être concernés », a-t-il précisé.

Des bouteilles à la mer signe d’errance stratégique

Le marché est soulagé que Mark Zuckerberg ne s’entête pas dans l’impasse du métavers et recentre l’entreprise sur l’IA. Mais cela reste un énorme pari raté, qui devrait légitimement interroger sur la vision stratégique et la capacité d’exécution de Mark Zuckerberg. Est-il encore le visionnaire d’il y a vingt ans ?

« Dans une autre entreprise moins centralisée sur le mythe du fondateur, le conseil d’administration aurait fait pression pour renvoyer ou pousser à la démission un dirigeant qui a promis une révolution qui a tourné court, mais qui a coûté 36 milliards de dollars en R&D et engendré le licenciement de plus de 20.000 personnes », indique un analyste consulté par La Tribune, tout en précisant que Mark Zuckerberg a pris toutes les précautions dans les statuts de Meta pour éviter un tel scénario.

Le départ l’an dernier de la célèbre directrice des opérations Sheryl Sandberg, bras droit de Zuckerberg depuis 2008, ainsi que les multiples articles publiés dans la presse américaine qui racontent la déconnexion entre le dirigeant et ses propres employés depuis le virage du métavers, posent également question.

D’autant plus que Mark Zuckerberg lance depuis fin 2022 des pistes de diversification stratégique qui paraissent autant de bouteilles jetées à la mer sans véritable but, dans l’espoir que l’une d’elle fonctionne et réduise la dépendance du groupe à la publicité.

Ainsi, la lente descente aux enfers de Twitter depuis son rachat par Elon Musk, a inspiré à Mark Zuckerberg deux idées. La première, annoncée fin février, est de tester pour Facebook et Instagram le modèle de l’abonnement payant qu’Elon Musk a mis en place -sans succès- pour Twitter. Le concept : les abonnés à Meta Verified pourront faire vérifier leur compte en fournissant une carte d’identité officielle, et ensuite afficher un badge bleu, signalant qu’ils sont bien la personne qu’ils disent être. Leur compte sera aussi mieux protégé contre le risque d’usurpation de l’identité grâce à une surveillance proactive. Comme pour Twitter, leurs messages, photos et vidéos seront mieux relayés que les autres, en apparaissant en tête des résultats de recherche, des commentaires et des recommandations. L’abonnement est déjà disponible en Australie et en Nouvelle-Zélande, puis sera étendu à d’autres pays, à commencer par les Etats-Unis.

Enfin, la deuxième grande idée de Zuckerberg inspirée par la débâcle de Twitter est… de le remplacer. Début mars, Meta a annoncé qu’il travaille à la création d’un nouveau réseau social à la Twitter, à la différence près qu’il sera décentralisé. Selon le site Platformer, cette future appli serait accessible grâce aux identifiants Instagram et interopérable avec les autres réseaux du même type, tels que Mastodon. La date de lancement n’a pas été précisée et le projet pourrait même ne jamais voir le jour. Mais il illustre l’errance stratégique de Meta, réduit à copier les fonctionnalités de ses concurrents, notamment TikTok et Snapchat, et à tenter d’occuper leur espace.

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