Les reels d’Instagram, un sous-TikTok de l’enfer

Le pire mode de voyage dans le temps –et surtout le plus con.

Nous vous proposons cette excellente contribution de Slate.fr

Quand j’étais à l’école primaire, j’avais beaucoup de foi en l’avenir. J’imaginais par exemple, que, d’ici 2023, on aurait quand même fini par inventer le voyage dans le temps. Et aussi que je deviendrais à la fois chanteuse et avocate.

Côté carrière, c’est un peu loupé. Mais en ce qui concerne le voyage dans le temps, je n’étais finalement pas loin du compte. Car il existe actuellement un moyen de faire un bond fulgurant dans le futur. Pour cela, il suffit tout simplement d’ouvrir vos Instagram Reels (ou, comme ma mère aime les appeler, «les réels»).

Petite, je rêvais de devenir chanteuse et avocate. Eh bien, c’est râpé! | Capture d’écran Instagram

Quand vous relèverez la tête, trois jours se seront écoulés. Dans une société qui repousse toujours un peu plus les limites de l’économie de l’attention, ce n’est certes pas le voyage dans le temps dont on a besoin, mais c’est clairement celui qu’on mérite. Le pire genre de bond temporel, et surtout, le plus con.

Passer toute sa journée à regarder des phoques éternuer? Pourquoi pas. | Capture d’écran Instagram

Boucle temporelle infernale

Pour paraphraser Boromir, interprété par Sean Bean dans Le Seigneur des anneaux: La Communauté de l’anneau, on ne se contente pas de regarder un seul reel. Ni deux. Si par erreur vous vous aventurez dans cette section maudite de votre application Instagram, ne serait-ce que quelques secondes, que Dieu vous garde. Vous serez bientôt aspiré dans un vortex de vidéos de Jessica Chastain, dont vous ne pourrez vous libérer que lorsque vos derniers neurones auront rendu l’âme. (Est-ce que les neurones ont une âme? Hors sujet.)

Certes, une petite vidéo de temps en temps peut s’avérer divertissante. Mais c’est l’effet cumulatif qui pose problème. Car grâce au scroll infini, l’invention la plus diabolique depuis la bombe A, le contenu ne s’arrête jamais. Si vous ne zappez pas avec votre pouce, les images repassent en boucle. Et même en zappant, vous finissez parfois par retomber sur le même contenu à faible indice intellectuel, perdu dans le labyrinthe infernal d’internet.

Un extrait de concert de Taylor Swift, typiquement le genre de contenus qui repassent en boucle sur mon appli… | Capture d’écran Instagram

Une fois qu’on a commencé, c’est encore plus difficile de s’en extirper que de trouver la sortie au Louvre. On croit simplement passer le temps en se faisant un café, et on se retrouve cinq heures plus tard à pleurer devant une vidéo de gratin de pâtes, épuisé et désorienté.

Ou un gratin de haricots blancs qui nous «obsède», effectivement. | Capture d’écran Instagram

La malbouffe des réseaux sociaux

Les reels ont été mis en place par Instagram à l’été 2020 pour concurrencer TikTok, un réseau social cool et plébiscité par les jeunes –c’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous ne m’y trouverez pas. Sauf que Instagram Reels, c’est le sous-TikTok. C’est le sac Pradu ou le parfum Chonel de la présence en ligne. Le design est moche, la qualité vidéo souvent pourrie, et le contenu oublié aussi vite qu’il est ingéré.

Instagram Reels, c’est la malbouffe des réseaux sociaux, qui sont déjà la malbouffe d’internet. Ce sont les déchets numériques dont les rats d’internet se gorgent lorsque plus personne n’en veut. Oui, dans cette métaphore, je suis un rat.

Je suis donc un rat qui regarde des vidéos de chiens et de chats. | Capture d’écran Instagram

Comme chaque élément de votre vie désormais, la sélection a été composée par un algorithme qui se base sur vos centres d’intérêt. En ce qui me concerne, mes reels sont donc constitués à 60% de vidéos de recettes de pâtes, à 30% de couples de stars (Tom Holland et Zendaya, Emily Blunt et John Krasinski), et à 10% de vidéos de massages de hérissons, de chèvres en train de chanter ou je ne sais quelle autre adorable absurdité.

Parmi les greatest hits, on trouve aussi des vidéos où Saoirse Ronan prononce correctement son nom, des vidéos qui me demandent si je savais que Lily-Rose Depp avait des parents célèbres (oui), et quoi que je fasse –QUOI QUE JE FASSE–, des vidéos de la vie domestique de Penn Badgley. Cet homme ne veut pas me laisser en paix et il faut que ça cesse.

Tel un prédateur, Instagram Reels peut s’avérer particulièrement dangereux lorsque vous êtes vulnérable. Environ une fois par mois, le plus souvent lorsque je suis affligée d’une turbo gueule de bois m’empêchant de bouger ou d’aligner plus de cinq mots par heure, je perds par exemple une journée entière à me filer des crampes au pouce devant ces vidéos abrutissantes. C’est le pas le multivers, c’est le bêtivers.

Nuggets cerises et tomates de poulet (ou l’inverse)

Dans ces moments de faiblesse intense, trop épuisée pour regarder ailleurs, je sombre doucement vers la folie, une vidéo de trente secondes après l’autre. Quel intérêt a ce clip de Paul Mescal qui dit qu’il aime les nuggets de poulet?

Quel intérêt aussi de voir Paul Mescal (lors d’une séance photo de JR après les Oscars) passer sa tête à travers la fente d’une affiche avec sa tête dessus? | Capture d’écran Instagram

Ou ces quinze secondes d’un vieux concert de Taylor Swift que j’ai déjà vues mille fois?

Encore?! | Capture d’écran Instagram

Vais-je mourir seule? Combien de fois ai-je vu des mains anonymes écraser une gousse d’ail confite sur une tranche de pain? Ou mélanger de la feta avec des tomates cerises? Pourquoi ma vie est un tel échec? (Cette chronique donne peut-être un indice.)

Je ne les compte même plus. | Capture d’écran Instagram

Après avoir passé six heures à mettre en danger ma santé mentale en regardant du fromage fondre sur un écran de téléphone portable, je finis par reprendre mes esprits. Généralement, c’est à ce moment-là que je supprime l’appli et que je me jure de ne plus jamais me faire avoir.

Après avoir pesté contre les réseaux sociaux, les jeunes et le monde d’avant où on lisait des bouquins quand on s’ennuyait, je réalise que ça y est, je suis officiellement vieille. Et toujours pas chanteuse ni avocate.

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