La face obscure du marketing numérique : quelle éthique pour les marques ?

Nous vous proposons cette excellente contribution de Les Echos Solutions

Le marketing numérique n’a pas que des bienfaits : entre dark patterns et vol de l’attention, son impact sociétal peut être plus nocif qu’on ne le pense. L’agence Pixelis fait un tour d’horizon des risques éthiques pour les marques présentes en ligne, et des solutions pour les éviter.

Le numérique fait désormais partie intégrante de nos vies et ses bénéfices ne sont plus à prouver. En tant que consommateurs, il nous permet d’acheter en ligne, d’exprimer un avis sur un produit, de le comparer, voire de participer à sa conception. Côté marques, il offre de précieux canaux de vente, ainsi que la possibilité de collecter des informations sur les clients, donc de mieux adresser leurs besoins, et de dialoguer avec eux.

Pourtant, le marketing numérique a aussi sa face obscure, faite d’abus et de dérives éthiques. Et elle reste pour le moment sous le radar : si la montée en puissance de la notion de responsabilité d’entreprise conduit à se questionner sur l’empreinte environnementale du numérique, ses pratiques marketing ne sont pas vraiment remises en cause, malgré leur impact sociétal parfois très négatif.

Parcours client ou parcours du combattant ?

Alors que la méthode design est fondée sur la satisfaction du client, le marketing numérique tend à dériver vers une approche strictement marchande, qui sert avant tout l’intérêt de la marque… quitte à manipuler le client ! C’est ce qui se produit avec les dark patterns, ces techniques de design qui visent à contraindre le choix de l’utilisateur pour l’orienter. Cases pré-cochées, navigations complexes et orientées, profusion d’informations sur une page web ou au contraire cul-de-sac dans le parcours client… Les subterfuges sont nombreux pour influencer le client ou décider à sa place.

Résultat : le e-commerce, qui promettait de vendre mieux, de façon plus efficace et ciblée, finit par créer de la complexité et de la surabondance. Le cross-selling incarne bien ce phénomène : aujourd’hui, impossible d’acheter un billet de train sans se voir proposer les services de « partenaires » assureurs, loueurs, hôteliers… ou un abonnement « Prime » insidieux, dont on se rendra compte au moment de la facturation le mois suivant. Finaliser l’achat se transforme en parcours du combattant.

Le risque : une dégradation de la confiance

Comme le note Jean-Christophe Chaussat, président de l’Institut du Numérique Responsable, « on ne peut plus naviguer sans être suspicieux, aujourd’hui. Est-ce que des données sont captées malgré moi ? À quoi vont servir mes données ? Est-ce que la marque me trompe pour des besoins mercantiles ? »

Pour Frédérick Marchand, associé fondateur de Digital 4Better, ces stratégies commerciales sont perdantes à long terme : « c’est une bulle marchande de plus en plus fragile et un mauvais pari pour les marques. En effet, ces pratiques, si elles permettent souvent les actes d’achats impulsifs (voir compulsifs), finissent surtout par nuire à l’expérience client et dégradent l’indice de confiance à la marque. Il faut créer une relation de confiance avec votre client et il reviendra de lui-même et sera fidèle. »

Le premier pas pour se sortir de la dark side du marketing numérique consiste à questionner ses propres pratiques. La marque sert-elle son propre intérêt ou celui de son client ? Lui vole-t-elle de son attention et de ses données inutilement ? Ses valeurs se retrouvent-elles dans ses pratiques numériques ?

Des solutions pour un marketing numérique responsable

Ensuite, des solutions existent pour un marketing numérique responsable. La première est donnée par le sociologue Dominique Boullier et consiste à introduire un design de friction. Autrement dit, des techniques pour ralentir les transactions et rendre possible une décision raisonnée. Fini cases automatiquement cochées et les questionnaires pré-remplis des données du client, on cherche au contraire à attirer son attention sur le fait qu’il ou elle concède des informations de façon consentie et en comprend les enjeux. Transparence et pédagogie font mieux que ruse et omission.

La simplicité est également de rigueur : on élimine le cross-selling et on va droit à l’essentiel. C’est ce qu’a fait la compagnie ferroviaire allemande, Deutsch Bahn, qui a développé un site marchand ultra simplifié : une seule page, 4 champs de saisie strictement nécessaires. Au-delà d’un gain d’efficacité pour l’utilisateur, l’autre avantage est l’accessibilité partout en Edge (pas besoin de 3G) et l’accessibilité aux personnes qui ne maîtrisent pas bien les technologies numériques. Son site marchand « classique » continue d’exister pour ceux qui le préfèrent.

Ainsi, sans aller jusqu’à l’élimination pure et simple du cross-selling ou du retargeting, les marques doivent laisser à l’usager le choix d’en bénéficier ou non. Un paramétrage dans son compte client peut être une bonne solution pour personnaliser l’expérience et refuser ces services poussant à la consommation. Chacun devrait pouvoir dire non à la publicité et la pollution visuelle générée par le retargeting, et ainsi préserver son espace privé sur le Web. Dans certains cas, les marques ne sont même pas au courant que les plateformes d’e-commerce le pratiquent : attention à bien intégrer ces questions dans les relations contractuelles. Il en va de l’image de marque et de la confiance de l’usager.

(Crédit photo : iStock)

Article écrit par

Contributor

Loïc Quenault Loïc Quenault est Directeur de la Communication chez Pixelis – Après une formation en Sciences Politiques, il intègre l’agence Pixelis il y a 9   …

Ce texte est publié sous la responsabilité de son auteur. Son contenu n’engage en aucun cas la rédaction des Echos Solutions.

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