Nous vous proposons cette excellente contribution de Libération
Déjà sous le feu des critiques et des bannissements gouvernementaux, TikTok est confronté à un nouveau dilemme aux Etats-Unis : la revente de ses parts chinoises ou son interdiction.
Une offre qu’ils ne peuvent refuser ? Déjà sous le feu des critiques et des interdits gouvernementaux depuis plusieurs semaines, TikTok voit l’étau se resserrer d’un cran aux Etats-Unis. Selon le Wall Street Journal, l’administration Biden place le réseau social face à un dilemme : soit les propriétaires chinois de l’application revendent leurs parts, soit la plateforme sera interdite dans le pays et ainsi privée de 100 millions d’utilisateurs.
Nouvelle-Zélande, Belgique, Danemark, Royaume-Uni… Plusieurs pays ont, ces dernières semaines, interdit la présence de TikTok sur les appareils de leurs employés gouvernementaux. Le réseau, propriété de ByteDance Ltd basée à Pékin (Chine), est soupçonné d’être un mouchard à la solde du Parti communiste chinois. Aux Etats-Unis, qui ont inauguré cette valse de bannissements dans les grandes instances, le New York Times révèle ce vendredi que le ministère de la Justice mène une enquête sur la surveillance de citoyens américains – parmi lesquels des journalistes – qu’aurait mené ByteDance. Surtout, le pays étudie l’extension de l’interdiction de l’appli à l’ensemble de sa population, avec un projet de loi déposé fin février.
Ainsi la proposition de revente viendrait, selon le Wall Street Journal, du comité sur les investissements étrangers américain (CFIUS), un groupe fédéral surveillant les risques pour la sécurité nationale dans les investissements transfrontaliers. Et elle n’est pas sans susciter un certain sentiment de déjà-vu.
TikTok en quête de confiance
Retour en 2020. Donald Trump, alors président, place TikTok face à la même alternative : la revente à une entreprise américaine, aussi conseillée par le CFIUS, ou son interdiction. Après des semaines de pression, l’administration Trump semble conclure un accord pour que ByteDance revende une partie de l’appli à l’entreprise américaine Oracle… mais la transaction n’aura jamais lieu. Finalement, TikTok planche sur le «Texas Project», par lequel elle s’engage à stocker les données d’utilisateurs américains sur le sol américain (notamment grâce aux serveurs d’Oracle) et les relations semblent s’apaiser. Fin du chapitre.
Trois ans plus tard, Joe Biden opère donc un revirement que ByteDance critique allègrement. «Si la protection de la sécurité nationale est l’objectif, le désinvestissement ne résout pas le problème : un changement de propriétaire n’imposerait aucune nouvelle restriction sur les flux ou l’accès aux données», contrecarre la porte-parole de TikTok, Brooke Oberwetter, dans un communiqué rapporté par le Wall Street Journal. Avant d’assurer que la meilleure solution consiste en une «protection transparente» et «basée aux Etats-Unis» des données américaines. «Avec une surveillance, un contrôle et une vérification robustes par des tiers, que nous mettons déjà en œuvre», conclut-elle. Soit, un plan de sécurité déjà proposé par TikTok en août nécessitant un investissement de 1,5 milliard de dollars.
Trop cher ?
Depuis ses tourments, l’entreprise n’a de cesse de tenter de regagner la confiance des pays la toisant. En plus du «Projet Texas» outre-Atlantique, sur le Vieux Continent, l’application a annoncé début mars le «Projet Clover». Ainsi, deux centres de données basés en Irlande pour héberger les informations des tiktokeurs européens sont censés voir le jour. En plus d’un troisième, selon la BBC, en Norvège. Autres mesures mises en place : la minimisation des flux de données en dehors des régions et la limitation du nombre d’employés y ayant accès.
Pas assez pour les Etats-Unis, qui préfèrent couper la tête du roi pour réattribuer sa couronne. Mais la revente pourra-t-elle seulement avoir lieu ? Certes, le réseau social fait saliver moult de ses concurrents américains, à l’image de Meta dont il siphonne une partie de la clientèle. Problème : selon le New York Times, la valeur de TikTok estimée par certains experts à 50 milliards de dollars en ferait une emplette un peu trop onéreuse. Et quand bien même la maison mère de Facebook, Google ou encore Microsoft en auraient les moyens, ils se retrouveraient vite aux prises avec les lois antitrust.
Autre léger souci, concernant cette fois l’interdiction de l’application : le premier amendement de la Constitution américaine, garantissant la liberté d’expression, et en vertu duquel l’association American Civil Liberties Union s’est déjà opposée au projet de loi. En 2020, sous Trump, les tribunaux fédéraux avaient déjà barré la route du président à ce sujet. Interdire ou revendre : deux propositions d’une alternative refusées par TikTok… qui semblent difficilement réalisables aux Etats-Unis.