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Les acteurs du e-commerce africains sont délaissés par les grandes plateformes de règlement et sont confrontés à une difficulté : collecter leurs paiements mais des entrepreneurs ont développé des solutions. Nous vous en présentons deux dans cet article.
Avec la pandémie de Covid 19 et la distanciation sociale, nous sommes de plus en plus nombreux à faire une partie de nos achats en ligne.
Soldes, promotions, fêtes comme la Saint Valentin, tout est mis en place par les e-commerçants pour nous faire sortir notre carte bancaire.
Maintenant imaginez-vous avoir réalisé des affaires juteuses avec plusieurs ventes à votre actif, des dizaines de milliers de francs CFA reçus électroniquement qui s’affichent en positif sur votre compte e-commerce mais aucun moyen de les encaisser sur votre compte bancaire ou les toucher en espèces.
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C’est le casse-tête que vit Valeska Tozo une entrepreneure e-commerce établie au Togo. Elle explique les difficultés de beaucoup d’acteurs :
« Nous sommes obligés de nous limiter aux moyens locaux que nous avons à notre disposition comme Orange Money ou Wave par exemple au Sénégal qui facilite le paiement. Au Togo, nous avons Flooz ou T-Money mais parfois la connexion ne passe pas et on ne peut recevoir des paiements de l’étranger ».
Pour ses clients à l’international, qui peuvent pourtant payer par carte bancaire ou PayPal, c’est encore un autre casse-tête.
« J’ai un compte Paypal mais parfois on a des difficultés à retirer l’argent et les autres moyens de paiement que ce soit Stripe où autres ne nous permettent pas en réalité de couvrir plusieurs pays donc on doit se rabattre sur les agences de transfert », explique-t-elle.
« Cela impacte beaucoup l’activité car la majorité des personnes qui sont à l’international ont des cartes bancaires et utilisent Paypal du coup ça leur est plus facile de payer en ligne que d’aller faire le rang pour envoyer un transfert d’argent, cela décourage les clients à passer la commande ou à faire l’achat », déplore Valeska Tozo.
Un important potentiel
Le E-commerce est souvent présenté comme la voie de l’avenir.
La vente au détail en ligne en Afrique a connu une croissance exponentielle ces dernières années. Plusieurs facteurs contribuent à cette croissance : la population la plus jeune et la deuxième plus grande au monde. En outre, la pénétration d’Internet a augmenté en raison de la large expansion des smartphones et des appareils mobiles. Cette tendance, encore renforcée par la pandémie, devrait se poursuivre.
Selon le rapport e-Conomy Africa 2020 de Google et de la Société Financière Internationale (IFC), l’économie numérique en Afrique pourrait représenter 5,2 % du PIB du continent à l’horizon 2025, soit un peu plus de 180 milliards de dollars. Ce montant pourrait atteindre 712 milliards de dollars à l’horizon 2050. Il existe donc un potentiel pour un vaste marché numérique.
Et nombre de ces entrepreneurs sont en réalité des entrepreneuses. Selon l’IFC, les femmes représentent la moitié des acteurs du commerce électronique en Afrique.
Mais si les règlements numériques sont de plus en plus répandus en Afrique, les entrepreneurs du commerce en ligne dans certains pays du Continent, délaissés par les grandes plateformes de paiement, sont confrontés à une réelle difficulté insoupçonnée de nombreux clients : percevoirs les paiements à distance de leurs clients.
Solution 1 : les banques en ligne
Luc Tolo Beavogui, entrepreneur guinéen installé au Sénégal, fondateur de Vamnom, une agence de marketing digital, a aussi connu ces limitations quand il s’est lancé dans le e-commerce.
« En réalité, c’est la première difficulté pour la plupart des personnes qui s’engagent dans le digital. La plupart des gens en Afrique ne peuvent pas avoir Stripe (une plateforme de paiement par Carte bancaire, NDLR) et les comptes PayPal sont limités juste à pouvoir payer en ligne mais pas recevoir de l’argent et faire du business avec », détaille-t-il.
Ce blocage l’a poussé à effectuer des recherches approfondies afin de développer « sa recette », ainsi qu’il le dit lui-même, dont il fait bénéficier d’autres e-commerçants africains désormais.
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Il a découvert des banques en ligne comme Payoneer et TransferWise que les entrepreneurs africains peuvent utiliser afin de pouvoir s’affilier aux deux mastodontes du paiement en ligne que sont Stripe et PayPal.
« Ces plateformes acceptent toutes les banques de l’Afrique et du coup il est possible de lier son compte bancaire avec les grandes plateformes de paiement. Ce n’est pas une faille illégale », explique Luc Tolo Beavogui.
Aujourd’hui, sa structure Vamnom aide les commerçants à se lancer en ligne à mettre en place les moyens de paiemens.
Solution 2 : les plateformes de paiement africaines
Idriss Marcial Monthe a co-fondé CinetPay. L’idée germe en 2009 quand l’entrepreneur décide de créer en Côte d’Ivoire un site Internet de vente de noms de domaine africains et d’espaces d’hébergement.
« Je me retrouve confronté très vite avec la problématique de pouvoir accepter des paiements en ligne. Je devais me déplacer pour aller chez les clients collecter du cash. Le coût du transport mangeait toute ma marge », se rappelle l’entrepreneur.
Il ouvre successivement 3 comptes PayPal avec les adresses d’amis ou parents résident on occident (France, Canada, Suisse) mais à chaque fois les comptes sont fermés par PayPal au bout de quelques mois.
« Car vous êtes une entreprise africaine, vous exercez en Afrique et vous utilisez un compte qui a été ouvert en Europe, vous n’avez pas le droit car PayPal n’est pas autorisé dans votre pays. Et à chaque fois que PayPal fermait notre compte, il bloquait notre argent », se souvient Idriss Marcial Monthe.
Lassé, il se rend avec son associé chez les opérateurs de Mobile Money pour prendre leurs API de paiement.
« API » signifie Application Programming Interface (interface de programmation applicative). Une API de paiement est une API spécialement conçue pour communiquer des informations aux banques pour permettre les paiements de manière sécurisée sur un site Internet.
C’est l’ingrédient du succès qui manquait à son business.
« Nous avons réussi à convertir 80% de nos utilisateurs avec le paiement en ligne », dit-il.
« On s’est rendu compte que ce que l’on avait développé comme solution pour résoudre un problème que l’on avait, était une idée d’entreprise et on a décidé de créer cinetpay, un aggrégateur de paiements pour permettre à tous ceux qui font du commerce en ligne d’accepter n’importe quel type de solutions via notre plateforme », explique Idriss Marcial Monthe.
CinetPay est aujourd’hui présent dans 8 pays d’Afrique francophone (Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Togo, Burkina Faso, Guinée Conakry, Cameroun, RD Congo) et la société a plus de 7000 entreprises dans sa base de donnée.
De nombreuses autres plateformes sont présentes sur ce marché SycaPay, PayDunya, Touch Pay, Wizall Money ou encore Bizao qui ont la particularité de toutes être basées en Côte d’Ivoire.
Pourquoi les grandes plateformes de paiement ne sont pas accessibles en Afrique ?
Nous avons contacté Stripe pour savoir pourquoi ils n’étaient pas ouverts aux entrepreneurs d’Afrique francophone. La plateforme nous a répondu qu’ils avaient récemment fait l’acquisition de la société Paystack, basée au Nigéria, pour mener leurs efforts en Afrique, notamment au Nigeria, au Ghana et en Afrique du Sud.
PayPal et 2CheckOut (la solution de Paiement de Shopify et WordPress) n’ont pas répondu à nos demandes de commentaire.
Pour Idriss Marcial Monthe, il y aurait plusieurs raisons expliquant que ces plateformes soient réfractaires à l’Afrique.
« Les règlementations dans beaucoup de pays africains ne sont pas suffisamment claires et lisibles pour les acteurs du paiement qui sont habitués à être dans des environnements très réglementés. La deuxième raison, c’est la fraude parce nos pays sont réputés pour être des pays où le niveau de fraude est le plus élevé dans le monde. La troisième raison, c’est le risque que constitue nos différents Etats à cause de l’instabilité politique, du manque de transparence etc. La dernière raison pourrait être l’opportunité : est-elle suffisamment grande pour qu’ils se déploient sur le territoire ? », estimet-t-il.